« Obscure clarté. »

Un besoin de s’évader, de prendre l’air. De se sentir libre. D’échapper à ce quotidien déprimant qui s’était installé. Je ressentais la nécessité de faire le vide sur toutes mes pensées. Me ressourcer en d’autres termes. En tant que loup, j’avais besoin d’un endroit éloigné des humains qui honnêtement m’avait toujours répugné. Après tout, c’était dans mon éducation. Mais avec éducation ou sans, mon point de vue aurait été le même. Les humains n’étaient que des sacs à merdes. Me levant soudainement de ma chaise –car oui il faut le préciser, j’étais actuellement en cours- je pris la direction de la porte sans même prononcer un mot. Connaissant mon tempérament de feu, le prof baissa timidement les yeux pour faire comme s’il n’avait rien vu. Quel être misérable. Quittant rapidement les lieux, je m’échappa même du pensionnat, sautant par-dessus la barrière qui était alors close. Comme si une barrière allait stopper quiconque était désireux de partir…

La question était alors mais où aller ? Honnêtement, je n’en avais aucune idée. Ça me prenait souvent cette idée de m’isoler sans avoir de lieux précis en tête. Mais, je finissais toujours par arriver dans un endroit ou un autre. Le hasard me direz-vous. Je marcha quelques instants puis fatigué de prétendre être ce que je n’étais pas, je sauta dans un arbre pour m’y changer en loup. Voilà qui était bien mieux. Ce fut donc un loup et non un jeune homme qui descendit de l’arbre pour rejoindre la terre ferme. Pour certains, se transformer en loup dans un endroit qui pouvait être fréquenter était pur folie mais, les humains étaient tellement con qu’ils me prendraient pour un gros chien. Ne m’attardant guère sur ce détail, je pris mon élan et courus à travers les ruelles de la rue. Aucun endroit ne m’aspirait au repos que je recherchais. J’avais besoin d’autre chose, un lieu dénué de toute civilisation moderne et surtout, dénué d’humains. Sans même prendre le temps d’y réfléchir, je m’éloigna de la ville.

Les bâtiments se faisaient plus rare et la verdure plus imposante. J’arriva finalement aux abords d’une forêt sombre. Mon instinct m’y guida. Pénétrant dans la forêt, j’emprunta divers sentier sans jamais m’arrêter. Mon rapidité de loup était impressionnante et il me fallut peu de temps pour parcourir l’étendue de la forêt. Il me suffisait d’y mettre du mien. Que se trouvait-il au-delà de la forêt ? Il n’y avait qu’un moyen de le savoir.

A quoi auriez-vous pensé à ma place ? Et bien moi, je n’aurais certainement pas pensé à des ruines. Une ancienne civilisation avait vécu ici. Mais, de ce qui pouvait être leur ville, il n’en restait maintenant que des ruines. Quoi qu’il en soit, il n’y avait aucun doute que ces ruines étaient là depuis des centaines d’années. M’aventurant au hasard parmi les décombre, ce lieu mêlait obscure et clarté. C’était comme magique. Et je sus en cet instant que c’était ce lieu qu’il me fallait. Reprenant forme humaine, je passa la main sur les ruines d’un ancien bâtiment. Une église probablement. Affirmant quelques pas, je trouva un miroir brisé au sol. Malgré son état, il n’y avait aucun doute sur le fait que c’était un objet de collection. J’y croisa mon regard argentée. Ma tenue différée légèrement de d’habitude. Commençons par le bas de mon corps. Mes doc marteens, comme toujours. Mais cette fois-ci, mon jean était plus ample bien que rentré dans mes chaussures. Qui plus est, mon t-shirt était blanc. C’était quoi ce bordel ? Je ne portais jamais de t-shirt blanc, je détestais ça. Merde, ça m’énervait. Oui, parfois un simple petit détail suffisait à me mettre en rogne. Tempérament de loup, que voulez-vous que j’y fasse.

Marchant d’un pas nonchalant, je revins lentement sur mes pas pour m’arrêter face à l’ancienne église. Un rayon de lumière vint alors éblouir mon visage, faisant briller mes cheveux de jais. Au sommet de l’église –ou du moins ce qu’il en restait- en semblant de vitraux avait su résisté à l’âge et sembler miroiter sous le soleil.

D’une certaine manière, Leïla semblait désormais bien embêter. Passer du temps tout en se comportant comme une « gentille » personne ne devait pas être son quotidien. Très peu même, la vampire en semblait presque déstabiliser, comme si elle ignorait la démarche à suivre. Je me demanda alors quel devait être le quotidien de Leïla. Tuer des humains, se nourrir de leur sang, rire de leur souffrance voir même les torturer… Pour beaucoup, les pensées tournantes autours des vampires étaient sinistres. Les gens en avaient une mauvaise image. C’était compréhensible, l’homme avait toujours été persécuté par les vampires. Ce qui pour les humains semblaient atroce était en réalité anodin pour les vampires. Ils riaient des souffrances des mortels. C’était leur mode de vie. Après tout, pouvait-on réellement les condamner pour cela ? C’était leur éducation, on leur avait appris à vivre de la sorte. Chaque race avait son propre enseignement et elle vivait en conséquence. Peut-être que certaines personnes pensent que l’enfance d’un enfant loup-garou n’est pas différente de celle d’un humain mais, ils ont là tout faux. L’enfance d’un lycanthrope est un véritable enfer. Le jeune loup doit apprendre à dompter son côté animal, se transformer encore et encore jusqu’à ne plus ressentir la douleur, apprendre à contrôler son impulsivité. Tous n’y survivaient pas. C’était peut-être l’un des plus grands combats de notre vie. Se laisser vaincre par le loup et mourir ou bien le dominer et survivre.

Mes pensées se tournèrent alors vers ma propre enfance, baignée d’obscurité et de souffrance. Ce fut la voix crispé de Leïla qui m’en sortit. Son bracelet, quel bracelet ? Prêtant davantage attention à la jeune fille, je remarqua qu’elle se passait nerveusement la main autour de son poignet. Visiblement, il y manquait quelque chose. Basculant mon regard vers le visage de Leïla, ce fut la première fois que j’y décela une réelle émotion. L’inquiétude. Ce bracelet devait probablement compter pour la jeune fille. Dans un petit sourire quoique amusé, je me redressa et m’approcha de Leïla tout en lui lançant un regard taquin.

« On peut dire que tu sais comment occupé la compagnie toi. Perdre ton bracelet pour qu’on se décarcasse ensuite à le retrouver c’est très fort, je n’y avais pas pensé ! Très cool cette idée Leïla, je t’applaudis ! »

Mon ton était un brin ironique et sarcastique mais au fond, ce n’était pas bien méchant. Je ne faisais que la taquiner. J’étais ce genre de personne après tout. Ou plutôt, je l’étais devenu. C’était un trait de caractère qui avait fait son apparition lors de mon « achat ». Comme une personnalité que je m’étais crée pour survivre à l’enfer que ma vie était devenue. Et depuis, cette caractéristique ne m’avait jamais quitté, comme si elle était désormais encrée dans ma personnalité. Ou du moins, dans celle que j’avais du me créer pour survivre. Un humour jaune à toute épreuve et une attitude provocatrice. Je me plaçais ainsi sur une branche et les émotions négatives pour moi ne pouvaient pas m’atteindre. J’entendais par là l’attachement, la compassion, la pitié. Toutes ces émotions qui pourraient m’affaiblir. Pointant du doigts une direction à Leïla, je m’adressa à elle d’un ton plus autoritaire.

« Charge-toi de ce côté-là, je vais m’occuper de l’autre. »

De l’organisation, c’était la meilleure chose à faire pour retrouver un objet perdu. Perdu dans mes pensées au moment de l’action, je n’avais pas suivi la chute du bijou et ignorais donc où ce dernier était-il tomber. Je fis alors appel à mon odorat de loup. Enregistrant l’odeur de Leïla, je me mis à flairer l’air afin de retrouver l’objet en question. Mon flair ne m’avait jamais trompé et, cette fois-là ne fis pas exception. Posant finalement les yeux sur le bracelet de la vampire, je l’attrapa du bout des doigts et me redressa tout en me tournant vers Leïla, un sourire de vainqueur au visage.

« La mission est un succès. »

Ce n’était peut-être les termes les plus adaptés mais, sans doute était-ce l’habitude qui avait parlé. Des mots souvent employés une fois ma besogne terminé. Tendant le bras vers Leïla, je tenais toujours le bijou du bout des doigts, ce dernier pendant dans le vide. Son regard ne pouvait me tromper, elle tenait à ce bijou. Nous avions tous un objet auquel nous ne pourrions songer à nous séparer. Pour ma part, c’était le cas avec mon piercing. Etrange bijou me direz-vous mais, il était très cher à mon cœur. Mon grand-père maternel que je tenais en très haute estime me l’avait offert le jour où j’avais officiellement réussi mon passage en tant que lycanthrope adulte. Une véritable gloire pour moi. Il décéda malheureusement quelques mois plus tard, étant atteint d’une maladie incurable. Son décès m’avait bouleversé.

Reportant une fois de plus mon attention sur Leïla, je me sermona intérieurement. Je songeais trop au passé ce qui était une mauvaise chose. Revoyant l’expression de Leïla après s’être rendu compte qu’elle avait égaré son bracelet, une question traversa mon esprit.

« Ce bracelet… il est important pour toi, pas vrai ? »

Ce bracelet avait visiblement une bien grande histoire. Ses yeux s’étaient écarquillés comme deux boules de billards lorsqu’elle avait perçu mes mots. Ce bracelet… qu’avait-il à la fin ? Visiblement troublé, Leïla me tourna subitement le dos. Elle n’avait prononcé aucune parole depuis un certain temps. Aurais-je du garder ses paroles pour moi ? Je commençais presque à regretter ma question qui avait laissé Leïla en plein désarroi. Puis subitement elle se tordit en deux, une main que je percevais sur sa poitrine. Quelque chose n’allait pas, mais quoi ? Je m’apprêtais à la rejoindre quand Leïla tomba cette fois-ci à genou. Ce n’était plus d’un pas mal mais de pas précipité que je me rendis à ces côtés, m’accroupissant près d’elle. Elle semblait comme en lutte contre elle-même. Posant calmement une main dans son dos, je fus frappé par la froideur de son corps mais au fond, ce n’était plus si choquant que cela. Lucia m’avait habitué au corps gelé des vampires, je n’en étais donc plus étonné. Mais mon corps bouillant contrasterait éternellement avec le leur. D’une voix sereine, je m’adressa à la vampire :

« Quelque chose ne va pas ? »

J’ignorais si ce n’était qu’une douleur passagère ou bien quelque chose de plus grave. Seul Leïla pouvait m’en apprendre davantage sur son état mais, encore fallait-il qu’elle désire. Hormis les dernières traces de sang qui étaient restés sur ses lèvres, je ne sentais aucune blessure. Ce n’était pas une blessure physique. Ou du moins, externe. Cela venait de l’intérieur du corps de Leïla. Mais une fois de plus, je me retrouvais impuissant. J’ignorais totalement ce qu’il se passait à l’intérieur de la vampire. Cependant, il était indéniable qu’elle semblait souffrir. Quel était donc cette douleur si virulente et soudaine qui s’attaquait à Leïla?

Les vampires ne tombaient jamais malades, il ne pouvait donc s’agir de cela. C’était autre chose. Mais, la réponse me manquait. Je n’étais pas un expert en matière de vampire et j’avais encore bien des choses à apprendre à leur sujet bien que mes connaissances n’étaient pas moindres. Mais, ces dernières ne me permettaient pas de comprendre l’état de Leïla. La seule qui pouvait éclairer ma lumière était la vampire elle-même mais, savait-elle au moins quelle était cette douleur ? Il fallait trouver un moyen d’y mettre un terme. Je détestais me sentir impuissant dans de telle situation et être condamné à n’agir qu’en tant que spectateur.

Quelque chose n’allait vraiment pas chez Leïla mais elle s’obstinait à garder le silence. Comment pouvais-je l’aider si elle ne daignait pas me faire part de ses maux ? Ou alors la douleur était trop forte pour qu’elle puisse me répondre. Je détestais me sentir impuissant comme je l’étais actuellement. Ne pouvant donc rien faire d’autre, je resta accroupis auprès de Leïla le temps que sa crise se termine. Regarder le visage de Leïla exprimait sa douleur n’était pas vraiment quelque chose que j’appréciais si bien que je détourna lentement le regard, me concentra sur ma main qui était appuyé conte son dos. Elle était maigre, je pouvais sentir son os sous ma main. Ce fut finalement sa voix prononçant mon nom qui me poussa à rediriger mon regard vers elle. Elle semblait avoir dompté la douleur bien qu’elle semblait extenuée. Désireuse de se redresser, je garda l’une de mes mains dans son dos et de l’autre, lui agrippa le coude et l’aida à se stabiliser. Une fois assuré que Leïla tenait bien en place, je la laissa gérer seule son équilibre bien que gardant un œil attentif à ses mouvements.

Alors qu’elle me fuyait, cette dernière finit par planter son regard ensanglanté dans le mien tout en m’offrant un joli sourire malgré la fatigue qui se lisait sur son visage. D’une voix qu’elle pensait assurée, Leïla tenta vainement de me persuader qu’elle allait mieux et qu’il n’était plus nécessaire de m’inquiéter. Haussant un sourcil, je ne délogea pas mon regard argenté du sien. Pensait-elle réellement m’avoir avec un tel mensonge ? Cela se voyait qu’elle souffrait encore.

« Non ça ne va pas, ton visage est cramoisi. Si tes mots pensent me tromper ton visage lui ne le fait pas.»

Ses traits étaient tirés par la douleur, je ne pouvais passer à côté de cela. Si dans ces paroles elle pensait me tromper, son visage était là pour rétablir la vérité. Et croyez moi, des joues rouges chez un vampire, cela se voyait !

« Qu’est-ce qui t’arrives ? »

Demandais-je une nouvelle fois mais plus calmement. Je m’étais planté face à elle, de façon à ce que son regard ne puisse plus s’enfuir et m’étais légèrement baissé pour que mon yeux soit pile en face des siens. Non pas Leïla était du genre petite mais, j’étais du genre grand. Histoire de l’encourager à me répondre, je lui offris à mon tour un sourire.